De Tekapo a la vallee de l'Ahuriri

On atteint le lac Pukaki après une journée sur route en gravier. On a pris soin d'appeler à l'avance Braemer station qui nous a promis un pré avec de l'herbe - une chance inespérée! On y rencontre Julia, Hamish et leur fille Kate. Ils ont des chambres d'hôtes mais ils nous proposent leur chambre d'amis et nous invitent même à leur table! On passe tous un très agréable moment chez eux, à part Fern quand leur téméraire chèvre vient manger dans son seau.

Le lac Pukaki, comme la plupart des lacs de la région, est alimenté par une rivière dont le lit est aussi large que le lac lui-même, la Tasman River. Juste en amont se trouvent des glaciers (Mueller, Hooker et Tasman) et Mount Cook, le plus haut sommet de la Nouvelle-Zélande (3755m). Des chevaux ont déjà traversé la Tasman river, mais certains sont tombés dans des sables mouvants! Traverser cette rivière est pourtant le meilleur moyen d'approcher Mount Cook, évitant de longues journées sur la route. On se lance dans la traversée avec la plus grande prudence, évitant ce qui ressemble à la description qu'on nous a faite des sables mouvants: du sable mouillé mélangé à de petits cailloux. Mais l'eau, colorée par les glaciers, dissimule le fond. Par prudence j'ouvre la route à pied, comptant sur le fait que Wiki pourrait me tirer de sables mouvants alors que si Wiki se faisait prendre Stéphane et moi ne ferions pas le poids. On fini par rejoindre l'autre rive, on met les chevaux dans l'un des prés de Glenntanner Station, et notre tente dans le camping voisin. Mt Cook est un lieu très touristique, on fait pas mal de rencontres, y compris un groupe de chinois qui nous invitent à fêter le jour de l'an chinois avec eux. On est impressionnés par la quantité de plats qu'ils ont cuisinés et on ripaille pendant que s'achève l'année du cheval et que commence celle du mouton!

Comme tout le monde ici on est venu voir de près des glaciers et des icebergs, accessibles grâce à de petites randonnées. Une fois satisfaits, on prends la route jusqu'à Ferintosh Station, où Marianne et Gilbert nous orientent vers un itinéraire plus cavalier, passant par la station Pukaki Downs puis empruntant le "Dusky Trail": 26km à travers la campagne, et même une "hut" avec un enclos pour faire étape. Quand on ressort de là, on frappe à la porte de la première station qu'on croise: Ben Ohau Station. Le couple de propriétaire exploitants, Priscilla et Simon Cameron, nous accueillent d'une façon qui fait chaud au cœur. Ils sont touchés par la sécheresse, mais nous donnent leur pré le plus vert pour les chevaux (et pour camper). Ils nous donnent plein de fruits et légumes, du saumon de l'élevage local, des ANZAC cookies faits maison, de l'avoine, et passent des coups de fils pour nous arranger le passage dans les stations suivantes. On reste finalement trois jours à Ben Ohau, l'occasion de voir la finale nationale d'aviron sur le lac Ruataniwha, de faire des courses à Twizel et de collecter des informations sur les chemins pour la suite.

C'est aussi à Twizel qu'on retrouve Mai An, mon ancienne colocataire à Paris, en vacances dans le coin. Elle a suivi le projet "oNZetrail" depuis avant même qu'il ne commence et est partante pour quelques jours à l'aventure avec nous. Tantôt à pied, tantôt à cheval, on longe le lac Ruataniwha et la rivière Ohau puis on traverse la station Ohau Downs. Mai An a un petit aperçu des paysages de la Nouvelle Zélande, en l'occurrence ceux où a été tournée la bataille de Pelennor dans le Seigneur des Anneaux. Elle a aussi un aperçu de notre logistique orientée autonomie totale car on campe près de la rivière, où il n'y a aucun signe de civilisation. Jevon, de Ohau Downs Station, la ramène à Twizel, d'où il ne lui faudra que quelques heures de bus pour aller à Queenstown, alors qu'il nous faudra plutôt quelques semaines!

Notre destination suivante est la vallée de l'Ahuriri. Autrefois exploitée par de nombreux éleveurs de moutons, c'est maintenant principalement une réserve naturelle où on peut aisément observer des chasseurs et des pêcheurs à la mouche. On sillonne cette vallée et visite ses "huts", usant ce qui reste de fers aux chevaux. Posés il y a six semaines, ils sont tellement limés qu'ils n'en tiendront pas une de plus (sauf ceux de Wiki, qui sont renforcés au tungstène). Il semble improbable voir impossible de trouver un maréchal ferrant dans cette vallée perdue, où le téléphone ne passe pas et où il n'y a pas un seul cheval. Mais on rencontre un gars (Carl) qui connait un type (Jim Morris) qui connait un fermier (Charlie) qui ferre des chevaux. Charlie vient aussitôt et referre les postérieurs de Fern, ce qui est suffisant pour se rendre chez lui (Dunstan Downs station), où son maréchal ferrant, Sam, fait le reste. Sam a l'âge de la retraite (bien tassé), mais il ça ne l'empêche pas de blaguer tout en ferrant les chevaux les uns à la suite des autres, comme s'il ne faisait aucun effort!

L'usure rapide des fers a du bon, car notre séjour chez Charlie était des plus agréables. Charlie fait un tas de choses extraordinaires: ancien pratiquant de rodéos, il pilote des hélicoptères, fabrique de selles western, et fait des queue de cheval à sa fille en utilisant un aspirateur. En plus de nous ouvrir sa maison et de nous aider de mille et une façons, il nous a fasciné.

Queenstown en vue

C'est Charlie qui nous concocte notre itinéraire jusqu'à Lake Hawea. On remonte jusqu’à 1826m (Old Man Peak), évoluant pendant deux jours dans des espaces vides et magnifiques. Puis on retrouve la civilisation et l'hospitalité kiwi! A Nine Miles station on nous laisse nous installer dans l'abri à laine. Le lendemain lorsqu'on demande un pré on se retrouve avec un lit, un bon repas, et la bonne compagnie d'Ayla et Marc, un jeune couple qui aime les chevaux, les voyages et même les motos - on a tout pour s'entendre!

A Lake Hawea, on rencontre Denise et Gerry, fraîchement revenus des "Cavalcades". Impossible de leur faire comprendre précisément qui nous a donné leur contact (une dame du DOC dont on ignore le nom), mais ils nous accueillent les bras ouverts. Ils nous racontent leurs chevauchées un peu folles, photos à l'appui. Notre photo préférée est celle d'une soirée où les invités posent au milieu du salon avec un cheval, à qui il ne manque qu'un verre à la main pour se fondre avec les autres convives.

Ils nous couvrent d'attentions, nous emmenant faire les courses (y compris des aliments pour chevaux), voir les lacs Wanaka (en voiture) et Hawea (à cheval) et me dégottant même des chaussures de rando, qui tombent à point car les miennes sont dans un état de désintégration avancée. Ce sont des habitués des Cavalcades, où ils se sont rencontrés il y a 13 ans. Leurs contacts et leur expérience de l'Otago à cheval sont une mine d'or pour nous, surtout que l'itinéraire que nous envisagions de prendre (via Mototapu) est rendu impossible par le refus d'un propriétaire terrien. Sur les conseils de Denise et Gerry, on s'oriente à la place vers Mount Pisa Conservation Area, qui s’avère être une pépite, avec un chemin de crête aux alentours de 1900m d'altitude auxquels d'étranges rochers donnent un air surréaliste. Dans ce désert, même le "tussock" se fait rare: ces sortes de touffes d'herbe dure et jaune servent de pitance aux moutons mérinos en hiver et aux chevaux quand il n'y a pas mieux. Heureusement il y a de la vraie herbe autour des refuges: de vraies oasis. J'ai l'occasion de profiter des paysages plusieurs fois car j'oublie mon couteau à la pause du midi et je refais l'aller-retour (20km) pour le rechercher, avec Waka qui est notre cheval le plus rapide. Quand je reviens, Steph a exploré de son côté la section suivante, que le DOC décrit comme étant réservé aux "aventureux bien équipés". Force est de constater que ça s'adresse à nous, et c'est tant mieux car l'autre option consiste à suivre une grosse route pendant 20km. L'aventure pour nous, c'est de trouver un portail fermé à clef à la fin du chemin - le passage prévu pour les piétons est infranchissable à cheval. Il nous faut au moins deux heures pour trouver une issue, avec l'énergie du désespoir car il n'est pas question de camper derrière le portail: il n'y a pas d'eau. Dernier challenge avant de rejoindre la station la plus proche, Eastburn Station: 3km de route principale. On se fait voyants: gilet jaune, veste à la doublure orange retournée (c'est la première fois qu'on y pense), et paréo rouge sur la caisse de Waka côté traffic. Queenstown est en vue, on touche au but mais aussi à la fin de notre voyage. Grâce aux contacts et conseils de Gerry, on espère finir en beauté, traversant le lac Wakatipu pour voyager au calme sur la rive opposée à Queenstown jusqu'à Glenorchy, finissant symboliquement notre chevauchée dans un endroit qui s'appelle sobrement "Paradise". En attendant, on arrive comme des fleurs à Eastburn station où le jeune couple de propriétaires, Diana et Jez, n'attendaient pas particulièrement notre visite. Ils ne sont d'ailleurs pas la le premier soir mais un voisin nous laisse entendre qu'il y a une maison abandonnée avec des lits dedans, et nous voici occupant une jolie villa près de Queenstown! Bizarrement on a trouvé des balles de golf lors de notre exploration des alentours du portail fermé à clef (à 3km de toute habitation) et dans la maison abandonnée, il y a des clubs. Quand Jez nous rend visite pour la première fois, Steph est en train de perfectionner son swing! On trouve aussi des champignons géants, plus gros que nos têtes. Ils poussent par dizaines et sont comestibles! Autant dire qu'on aime le coin, d'autant plus que Diana et Jez se montrent très accueillants, nous invitant même pour une soirée pizza maison! Diana est d'origine allemande et était initialement venue passer 3 mois en Nouvelle Zélande, c'était il y a 8 ans. De viticultrice elle s'est reconvertie dans la kinésithérapie canine et la vente de biscuits pour chien, qu'elle fait elle-même et qu'on trouve vraiment appétissants.

Les quelques 30km qui nous séparent du lac sont un casse-tête, mais on arrive in extremis à avoir toutes les permissions (et clefs) nécessaires. A un refus près on aurait été obligés de traverser Queenstown à cheval. A la place, on passe par des champs, une piste cyclable, le pont où a été commercialisé pour la première fois au monde des sauts à l'élastique (et où les gens font toujours la queue pour se jeter dans le vide), des vignobles, et le long de la rivière Kawerau, où on ne croise guère que des jetboats. On remercie John (que Jez a contacté pour nous), Kathrin de "Judge and Jury", Craig, Alastair et Steven de Cone Peak station (à qui on doit notament une soirée de St Patrick arrosée... Au vin!), et les Jardine de Woolshed Bay. Pour la petite histoire, ici l'urbanisation est tellement rapide que lorsque j'ai appelé une ferme repérée sur la carte topo, c'est le Hilton Hotel qui m'a répondu.

Enfin, nous sommes au bord du lac, où Philip de Cecil Peak station, sans même nous connaitre, a accepté de venir nous chercher, nous et nos trois poilus, en barge! Quand on arrive, le vent est trop fort pour pouvoir effectuer la traversée, mais des kitesurfeurs sont la pour en profiter. Surprise: ils viennent de Grenoble!

Cecil Peak, le paradis pour les chevaux

Notre camping sauvage au bord du lac Wakatipu est magnifique. Tout est verdoyant, la sécheresse n'est même pas passée par ici. L'été est fini, les journées sont belles mais les nuits gelées. Les chevaux et nous grelotons dans le petit matin le temps de plier la tente et de seller (pour ne pas avoir à trop manutentionner leur matos). C'est assez magique de voir la barge s'approcher doucement et silencieusement sur les eaux du lac. Les chevaux sont un peu surpris quand on les invite à monter à bord, mais ils montent sans résister. Au début ils tremblent (sans qu'on sache si c'est de froid ou de peur) mais très vite ils se relaxent complètement. Pour Philip c'est la routine: ce jour-là il fera de nombreux aller-retours avec à bord des moutons. Mais pour nous c'est une expérience unique!

On passe deux jours à Cecil Peak station, rencontrant le reste de la famille (Kate et les enfants Emma, Fred et Phoebe) et un groupe venu tuer des chèvres (considérées comme nuisibles) en utilisant un hélicoptère. Cecil Peak est un petit paradis. Queenstown est à quelques minutes en jetboat, mais on y est au calme car il n'y a aucun accès par route. Kate emmène les enfants à l'école en bateau, ce qui peut être sport: des vagues de cinq mètres de haut ont été mesurées sur le lac! Mais Kate est une aventurière. La preuve: elle a couru plusieurs fois la course multisports "Coast to Coast": 243km en terrain difficile! Philip est aussi un personnage. En plus de son travail d'éleveur, il emmène des touristes visiter la région en hélicoptère. Ils sont tous deux très sympas, marrants et... Cavaliers! Kate cherche depuis longtemps des chevaux pour que les enfants apprennent à monter et pour quelques travaux de la ferme. Pas de doute, ce serait une vie parfaite pour les nôtres! Signe qui ne trompe pas, les animaux ici sont très sociables. Kate a un jour retrouvé le dernier petit veau en train de regarder la télé dans le salon avec les enfants! Phoebe essaie Fern et fait son premier galop avec elle, alors qu'elle n'était monté à cheval que 20 minutes dans sa vie (on l'a appris après). On continue néanmoins notre voyage, Kate et Philip n'étant qu'à moitié décidés concernant les chevaux. On fait étape à l'une de leurs "hut" puis à la magnifique station Mount Nicholas, au bord du lac Wakatipu. Là-bas on a à nouveau de la réception téléphonique et on reçoit la bonne nouvelle: Kate et Philip achètent les trois chevaux! En deux jours on est de retour à Cecil Peak - pas besoin de transporter les chevaux, ils arrivent à pattes! Kate et les enfants sont contents et nous aussi car il est clair que les chevaux vont être dorlotés et montés ici!

On reste encore une journée, le temps de trier nos affaires et d'organiser les cinq jours qui nous restent avant de reprendre l'avion (au final on ira à Milford Sounds et Akaroa, la colonie française). Les chevaux, bien sûr, ne savent pas que le voyage est fini et qu'ils sont arrivés chez eux. Quand on va les voir pour la dernière fois, ils nous regardent bizarrement: "Si ce n'est ni pour nous nourrir, ni pour nous monter, pourquoi nous collez vous comme ça?". Ils vont nous manquer terriblement, mais la réciproque n'est certainement pas vraie.

Aux dernières nouvelles, qu'on a eues grâce à Kate, Wiki amusait la galerie et terrorisait les chiots en venant se servir dans leur gamelle. Il y a des choses qui ne changent pas!