Un autre Cap

Je passe quelques jours avec Dzidra et sa famille à Clive, entre Napier et Hastings. Elle est américaine et sa mère l'a suivie dans la voie de l'immigration, histoire de ne pas louper les anniversaires des petits enfants. Son conjoint Ronald est hollandais et ils ont a eux deux quatre enfants, Maureece, Natacha, Sophia et Danielle. Elle a aussi cinq chevaux avec lesquels elle propose des ballades à cheval aux touristes. Je suis installée chez  la mère de Dzidra, Carol, soixante dix neuf ans. On s'entend à merveille et je passe la plupart de mon temps avec elle, on jardine, elle m'emmène faire mes courses, je l'aide à s'inscrire sur couchsurfing...  Le soir c'est barbecue sur barbecue et qui est invité? Yakov! Il me convainc de passer un peu de temps à Hastings, pour débourrer avec lui un cheval et parce qu'approche "Horse of the Year", un gros événement équestre. Avant de le rejoindre, je tiens à aller à Cape Kidnappers, attirée par le nom, les recommandations du Lonely Planet et celles de Talya. D'ailleurs cette dernière me rejoint pour l'occasion et monte Bo qui décidément fait un très bon cheval de promenade. Le cap est accessible seulement à marée basse et on peut y observer des fous austraux (ou australs, c'est comme on veut). On repère de loin la colonie de fous, grâce à l'insolite couleur blanc fiente des gros rochers qu'ils habitent.  L'endroit est vraiment magnifique.

La ballade finie je commence à chercher un endroit pour la nuit. Alors que je lorgne un pré un peu plus vert que les autres, un type se gare à côté et accroche mon regard, ce qui m'encourage à demander la permission d'utiliser le pré.  Il m'avait en fait prise pour une connaissance à lui... Le dénommé Rob me prête gentiment le pré et même une caravane, ce qui tombe bien car Wiki a déféré des deux postérieurs et qu'on est coincé là pour quelques jours en attendant le maréchal ferrant. Les journées sont plutôt calmes, remplies de grasses matinées et de siestes. J'assiste quand même à la pêche (et à la remise en liberté) d'un magnifique bébé requin, pêché par un Slovaque avec lequel j'ai fait connaissance. Le soir il y a plus d'animation: Rob rentre du travail, ainsi que sa toute nouvelle voisine Jaci et ses enfants, Marino et Pounamu (nom qui veut dire Jade en maori).  Tous sont assez mordu de cheval. Jaci nous invite à dîner deux jours de suite, et on retournera même chez elle avec Yakov pour un très chouette hangi (repas traditionnel maori). Rob nous emmène visiter le musée voisin, "Woolworld @ Clifton Station" (le monde de la laine @ la ferme de Clifton), un ancien abri à laine où ont lieu des démonstrations de tonte et où sont présentés toutes sortes d'outils anciens et curiosités locales (ma préférée étant l'opossum apprivoisé).

Une fois Wiki chaussé de neuf, Yakov débarque avec sa roulotte. Pour se rendre chez ses amis, il faut traverser une zone plate très urbanisée qu'on s'est mis d'accord pour traverser en attelage, comme au bon vieux temps quand on voyageait ensemble.  On harnache Wiki et Bo qui font une jolie paire. Les vingt premiers kilomètres se passent à merveille, mais à peu près quand on s'engage par erreur sur une section très fréquentée, et qui comporte entre autres joyeusetés ronds points et feux rouges, Bo fait caprice sur caprice. Il s'arrête et refuse de bouger, ou alors juste un peu de côté, histoire de bloquer la circulation dans les deux sens. A tour de rôle nous le tirons et le poussons, arrivant à chaque fois à le faire redémarrer, mais jamais pour longtemps. Yakov fini par marcher à côté de lui plutôt que de monter et descendre de la roulotte à chaque fois. Après peut-être une dizaine de kilomètres de ce régime, tout revient dans l'ordre, et c'est tant mieux car il nous reste encore du chemin. On arrive enfin chez les amis de Yakov, Malcolm et Vale, après au moins cinquante kilomètres, contents qu'il ne soit rien arrivé ni aux chevaux, ni à aucun véhicule ou tierce personne. On pensait que les soucis avec Bo venait de la dénivellation et/ou du fait qu'il était gêné par Buba (qui avait tendance à attendre que la roulotte avance pour se mettre lui-même en branle) mais visiblement il y a autre chose.  On voudrait vraiment mettre le doigt dessus, car en dehors de ses "caprices" Bo est fantastique en attelage. Quand on raconte notre journée à Malcolm, il fait une remarque toute simple qui je l'espère est la clef de la solution: "Ça doit être un problème de charge de travail". Bo nous exprime peut-être depuis le début un gros ras le bol contre les journées à rallonge sur bitume, sans un brin d'herbe et sans vrai pause. Bonne résolution pour quand à l'avenir on se déplacera en roulotte: ménager des pauses agréables pour les chevaux. Entendez: avec à manger!

Wiki was horse of the year

Je passe une dizaine de jours chez les amis de Yakov, les Bakers. Vale et Malcolm Baker sont soudés par leur passion des chevaux et plus particulièrement de l'attelage. Malcolm collectionne et bricole toutes sortes de véhicules hippomobiles. Régulièrement, après le boulot, il attèle quatre chevaux et part se balader jusqu'à ce qu'il fasse noir. Vale utilise plutôt l'attelage pour donner un nouveau départ à des chevaux difficiles ou mal valorisés. Leurs enfants Jena et Sam (sept et neuf ans) montent et font de l'attelage aussi. En tout ils ont quatorze chevaux et poneys, dont Vale (vétérinaire de formation) s'occupe presque à temps plein. Autant dire qu'ils ne manquent de rien, comme d'ailleurs Bo et Wiki qui tombent sous sa coupe bienveillante pendant notre séjour. Quand j'arrive le projet du moment est une reconstitution de la première guerre mondiale, où six chevaux doivent tirer un canon. Wiki et Bo sont enrôlés. Équipés de harnais et brides militaires, ils rejoignent les quatre trotteurs de Malcolm. A défaut de canon, on les attèle à une carriole, et on part fièrement en ballade dans le voisinage (c'est la première fois que Malcolm conduit autant de chevaux, et même dans le milieu du cheval on voit rarement un tel attelage). Le week-end suivant, je suis invitée en tant que groom à une compétition d'attelage. Pour l'occasion, on a du renfort: la mère de Vale, Kay, pour s'occuper de la maison (et de notre approvisionnement en pâtisseries et plats en sauce) et le frère de Malcolm, Peter, pour le harnachement des chevaux. On part avec trois véhicules, dont un camion et un van. Il faut bien ça pour emmener les quatre chevaux de Malcolm et la ponette que travaille Vale, ainsi que leurs carrioles respectives. On se retrouve à plus d'une centaine de kilomètres dans une ferme laitière transformée en camping tout confort pour l'occasion. Plus d'une dizaine d'attelages s'affrontent pendant deux jours dans des épreuves de dressage, de régularité d'allure, de maniabilité et... De style! Les carrioles aux grandes roues en bois sont magnifiques et les meneurs abordent des tenues élégantes et des chapeaux d'époque. J'apprends d'ailleurs que le rôle principal des grooms est d'orner la carriole -je suis une fois encore relookée de la tête aux pieds. Je passe une grande partie de l'épreuve "d'obstacle" en apnée. Cette épreuve, qui consiste à passer des portes formées par des obstacles en dur (ex: des arbres) dans un ordre précis, est très impressionnante, surtout avec quatre chevaux! D'ailleurs Malcolm est le seul à s'y risquer, la plupart des participants ne mènent qu'un seul cheval. Pour négocier les virages serrés sans perdre trop de temps, les chevaux de devant doivent se déplacer latéralement au galop pendant que les autres sont plus ou moins à l'arrêt. Quand ils sont alignés face à la porte, ils doivent se remettre en avant tous en même temps. La carriole bondit en avant et passe la porte, toujours de justesse car les portes sont à peine plus larges que les roues. Il parait même qu'à une compétition antérieure, une des portes était moins large que les roues... Vale fait aussi de jolis parcours avec son adorable petite ponette, qui trouve d'ailleurs preneur sur le champ (avant de passer par les mains de Vale qui l'a débourré en attelage, ses propriétaires avait essayé de la vendre sans succès pendant des mois). Mon séjour s'achève en apothéose, avec la participation de Bo et Wiki à la parade qui a lieu dans les rues de Hastings pour "Horse of the Year". Horse of the year est le plus gros événement équestre en Nouvelle Zélande. 2600 chevaux y participent, mais seulement quelques poignées d'entre eux participent à la parade - les meilleurs d'entre eux bien sûr! Wiki, Bo et deux autres chevaux, sabots vernis, crinières tressées et poils shampooinés, tirent le char de Farmland (l'enseigne préférée des agriculteurs). Cette année étant l'année du cheval selon le calendrier chinois, on accroche des lampions rouges au char et des cavaliers de Beijing montent à bord. Mes deux bestioles ont l'honneur de les promener en ville sous les yeux de deux mille spectateurs. La parade finie, les gens se précipitent pour les caresser et se faire photographier avec eux, ce qui n'a pas l'air de leur déplaire. Entre ses événements marquants, il n'y a pas le temps de s'ennuyer. D'abord, il y a Bobby. C'est un magnifique Gypsy cob (un clydesdale version double poney) qui a deux ans et demi et dont Jessie à confié à Yakov le débourrage. Il est à la fois confiant envers les humains et complètement novice: il a tout à apprendre, a commencer par la conduite en longe. Je mets en pratique la méthode la Cense, ou en tous cas ce que j'en ai retenu en deux jours de stage, avec de très bons résultats: en quelques séances, Bobby me suis, s'arrête et recule parfaitement. Yakov a aussi toute une panoplie d'exercices auxquels Bobby se plie de bonne grâce, hormis lorsqu'il envoie tout balader et galope comme un fou, s'arrêtant seulement pour décocher de puissants coup de sabots, nous rappelant que malgré ses airs de nounours il s'agit d'un cheval. Enfin, on emprunte à Vale quelques outils, notamment le gros lapin en peluche dont les oreilles flottent au vent. Quand je le vois monter sereinement Bobby, je me dis que si un lapin en peluche y arrive, je peux le faire aussi, et je monte à mon tour -au pas seulement. Après cette première il est temps pour moi de repartir si je veux arriver à l'île du sud avant l'hiver, mais Yakov est là pour continuer et je suis sûre que Bobby deviendra un agréable cheval de monte et d'attelage (aux dernières nouvelles il tire un pneu - le sulky est pour bientôt). Quand je ne m'occupe pas de Bobby, je monte Wiki. Il a indéniablement de grandes qualités, mais aussi un gros défaut: une bouche dure. Bref, il est parfois un peu difficile à arrêter ou juste ralentir. En le montant très tranquillement, j'arrive apparemment à lui apprendre à ne plus tirer sur les rênes. Et même à ne plus tirer du tout, comme le constatera Malcolm en l'attelant avec d'autres chevaux (il laisse les autres faire le boulot!). Un bon remède est de l'atteler seul, ce dont je rêvais depuis un moment. Vale et Yakov m'aident à me lancer et m'encouragent à aller faire un tour sur la route. Ca c'est fait! Après tous ces bons moments, il n'est pas facile de repartir, mais la parade est l'occasion idéale, car elle a lieu à seulement 25 km de Clifton, sur la côte, où j'ai des contacts pour la suite (au lieu de 50km en partant de chez les Bakers). Wiki et Bo passent dans la journée de chevaux de parade à chevaux errants! Wiki garde ses tresses, très chic pour un cheval de bât.